Après la Guerre de la Ligue et les saccages de La Fontenelle – Etat des lieux en 1610 à Pouldergat [ TREMEBRIT, Kerdéo, Galvray ]

En 1610, écuyer Jehan de Quélen achète la seigneurie de Trémébrit en Pouldergat et les villages qui en dépendent, dont Kerdéo et Galvray. L’état des lieux, établi le 2 septembre à l’occasion de la prise de possession des propriétés, décrit des endroits ruinés et désertés, envahis par la végétation naturelle. L’origine d’un tel délabrement est à rechercher dans la guerre civile qui a ravagé la région quelques années plus tôt. Connu sous le nom de Guerre de la Ligue, ce conflit a mis en scène dans la région douarneniste un sinistre personnage nommé Guy Eder de La Fontenelle.

Sur fond de rivalité religieuse et de pouvoir, la Guerre de la Ligue divisa la France et son peuple à la fin du 16ème siècle, ses conséquences furent désastreuses pour notre région. Hervé LE GOFF [LA LIGUE EN BRETAGNE – Guerre civile et conflit international – PUR 2010] écrit :« Cette guerre fut aussi la première dans l’histoire de la Bretagne, et à vrai dire la seule avant le second conflit mondial, à avoir modifié les paysages ».

Cette période troublée fut une aubaine pour les pillards, soudards et chefs de bandes de tous poils ; chacun choisit un camp, et en changea, au gré des circonstances et de ses intérêts. Elle fut aussi une opportunité pour les troupes anglaises et espagnoles ; ces deux nations, alors en conflit pour la domination des mers, occupèrent et parfois fortifièrent à leur aise plusieurs ports bretons ; la possession de ces places était pour eux un atout stratégique de première importance. Les razzias dans les campagnes et les demandes de rançons aux villes alimentaient leur quotidien. De son côté, le « bon roi » Henri IV, souhaitant sans doute ménager ses anciens et ses nouveaux amis, tarda à intervenir ; « Paris valait bien un messe », mais la Bretagne …

En 1590, Guy Eder de La Fontenelle, qui n’avait alors que 18 ans, entreprit ses pillages en Trégor et Cornouailles. En 1594, il s’empare avec ses hommes de Douarnenez. L’année suivante, il établit son quartier général sur l’Ile Tristan et y fait construire un fort. On pense que la ville de Pouldavid aurait été démolie à ce dessein. De là, pendant 3 ans environ, à la tête d’une troupe de plusieurs centaines de soldats, il pille, brûle, massacre et sème la désolation dans les bourgs, manoirs et villages des environs.

Le chanoine Moreau, quimpérois et contemporain de la Fontenelle, écrit en évoquant ces années :

« Les paysans chassés de leurs fermes ne pouvaient ni travailler ni ensemencer leurs terres. Quand il leur arrivait d’échapper aux soldats de La Fontenelle, ils ne pouvaient se soustraire aux horreurs de la faim, et alors, dans cette extrémité, ils sortaient du fond des bois pour chercher quelque nourriture mais ils avaient beau fouiller les demeures abandonnées qu’ils trouvaient sur leurs routes, ils n’y découvraient absolument rien, et toutes leurs recherches étaient inutiles. Découragés, épuisés de fatigue et de besoin, ces infortunés se retiraient dans leurs sombres retraites, et là, pour essayer de résister à la mort, ils étaient contraints de manger des orties, de l’oseille et toutes sortes d’herbes sauvages, qu’ils s’arrachaient avec avidité …
Dorénavant la basse Cornouaille alla de mal en pis, car les champs étaient dépouillés de tous moyens, et de plus en plus ravagés par La Fontenelle. Elle fut réduite à telle extrémité que fort peu de gens demeurèrent en vie, et n’ayant plus ni cheval, ni bœufs, lorsqu’ils pouvaient avoir quelques morceaux de blé en prêt ou autrement, ils s’attachaient de nuit à la charrue pour le semer, en espérant avoir quelque chose l’année suivante. Je dis la nuit, car le jour ils ne paraissaient pas plus que hiboux, et se tenaient cachés dans les taillis et les genêts comme les bêtes sauvages. Et il arrivait que les pauvres gens se trouvaient frustrés de leur attente à la moisson, ils ne recueillaient pas ce qu’ils avaient semé car les soldats le faisaient manger en herbe …
»

Selon Moreau, cette guerre aurait fait 30 000 victimes sur les côtes de Cornouailles ; massacrées par des soldats ou décimées par la famine et les épidémies que les corps affaiblis ne pouvaient supporter.

En octobre 1595, La Fontenelle, surnommé Ar bleiz (Le loup), est arrêté sur l’ancien chemin menant de Pouldavid au manoir de Kerguélen en Pouldergat, peu de temps après il est libéré contre rançon. En avril 1600, il est de nouveau arrêté à Bréhat et retenu prisonnier à Rennes, en mai 1601, il est gracié par le roi Henri IV. L’année suivante, il est accusé de complicité dans une affaire de conspiration au profit des Espagnols, condamné, il est exécuté sur la Place de Grève à Paris (aujourd’hui Place de l’Hôtel de Ville), il avait à peine 30 ans mais déjà un lourd passé.

« Le vendredi 27 septembre 1602 La Fontenelle fut, par arrêt du grand Conseil, rompu vif sur la roue en la place Saint-Jean-en-Grêve, où il languit environ six quarts d’heure, … C’était un beau gentilhomme breton, vaillant et adroit, mais vicieux et méchant extrêmement, qui avait commis une infinité de voleries et méchancetés, assassinats et autres actes désespérés. » [Pierre de L’Estoile (1546-1611), Mémoires]

Peu de traces écrites témoignent du délabrement causé par la guerre de la Ligue dans nos campagnes. Quelques mots cependant, au détour de certains textes du début du 17ème siècle, nous donnent quelques indices au sujet des conséquences du conflit. Ainsi une déclaration de biens datée du 15 mars 1602 concernant le village de Lanfiacre en Mahalon note : « …un étage (une ferme) au village de Lanfiat dont les maisons sont ruinées par le malheur de la guerre … de vieilles mazières et crèches à présent découvertes (sans toit) par le malheur de la guerre ».

Voici – sous le lien ci-dessous – les relevés établis le jour où Jehan du Quélen prit possession du manoir et domaine de Trémébrit, incluant Kerdéo et Galvray. La description qui est faite des lieux met en évidence l’état d’abandon des campagnes après la guerre civile.

https://www.youtube.com/watch?v=_2kNMpbuJho

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